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Sadi de Gorter ou la passion des cultures

30 octobre 2020 17 min. temps de lecture Les retrouvailles avec nos archives

En Flandre, nous parlons d’objets perdus. Aux Pays-Bas, ce sont des objets trouvés. Et si, en ces temps étranges, nous faisions vraiment de la perte une trouvaille? Prenez par exemple les archives de « Ons Erfdeel vzw ». On peut très bien y pêcher chaque semaine une pièce intéressante. Sans même qu’elle ait nécessairement un rapport avec le coronavirus. Une pièce, tout simplement, qui nous ouvre une nouvelle perspective sur les choses ou qui, après quelques années, acquiert une signification nouvelle. Bref, un objet trouvé.

Sadi de Gorter (Amsterdam, 1912 – Paris, 1994). Je ne l’ai moi-même jamais connu. Mais il a été extraordinairement important pour Septentrion, comme chroniqueur-né de la vie culturelle à Paris et de ses interactions avec celle des Plats Pays. Il était un « Hollandais fasciné par la France », marié à une Française, comme le souligne Yves Cazaux dans le portrait qu’il fait de lui dans le premier numéro de 1973 (Un laboratoire vivant: Sadi de Gorter). Enfant, il était arrivé avec ses parents à Bruxelles, où il a absorbé un français exceptionnel. Mais il était beaucoup plus que cela : poète, journaliste, attaché culturel, diplomate, gestionnaire d’une auberge de jeunesse, flamboyant premier directeur de l’Institut néerlandais à Paris (1957-1977). En 1972, il écrivait déjà au sujet de Vincent Van Gogh dans le tout juste fondé Septentrion; en 1973, il a écrit un essai sur le « Le monde insolite et fascinant de M.C. Escher ». De 1978 jusqu’à peu de temps avant son décès, il a tenu une « Chronique » estimée dans le journal.

Enfin, lisez ceci en mémoire d’André van Seggelen, professeur à l’université de Strasbourg, auteur de l’article (paru en 1995, dans le numéro 4 de Septentrion). La rédaction a constitué une anthologie de quelques chroniques permettant de découvrir cet homme de lettres et passeur culturel passionné au travail.

Tolle et lege.

Sadi de Gorter ou la passion des cultures

La veille du jour de Noël 1994 décédait à Paris, à l’âge de 82 ans, Sadi de Gorter. Poète et diplomate, il fut un éminent promoteur des relations culturelles franco-néerlandaises de l’après-guerre: ce Néerlandais, qui s’est affirmé comme un talentueux écrivain et poète de langue française, fut aussi un des collaborateurs les plus inspirés de Septentrion et un membre très actif de son Comité de conseil. Toutes ces raisons justifient que notre revue lui rende ici hommage d’une manière quelque peu inhabituelle.

Fils d’un photographe de presse, Sadi de Gorter est né à Amsterdam et a passé son enfance au Prinsengracht. Ces origines marquèrent l’homme et son œuvre d’une empreinte indélébile qui a résisté aux avatars de l’existence et aux cultures que sa carrière l’a amené à fréquenter de par le monde. Mais, en même temps, le caractère de sa ville natale, qui ne ressemble à aucune autre et qui est ouverte à tout ce qui vient de loin, a sans doute contribué à façonner l’esprit et la mentalité d’un homme ouvert, curieux, disert et volontiers humoriste.

Le jour de sa naissance, le 19 octobre 1912, son père se trouvait à Lyon pour raisons professionnelles. Il aurait alors télégraphié à son épouse qu’il fallait donner à l’enfant le prénom de Sadi en mémoire du président radical Sadi Carnot, assassiné là-bas en 1894 et dont le mémorial assez pompeux, déjà érigé, n’avait pas fini de défrayer la chronique. II se peut que De Gorter, en nous rapportant jadis l’anecdote, ait seulement voulu pimenter sa propre histoire, mais nous lui laisserons volontiers la fierté de porter un prénom, selon lui, unique aux Pays-Bas. Car il était un gamin extraordinaire et ça il l’était (1)!

Tout jeune encore, les mains dans les poches, l’œil pensif – des attitudes et des manies qui ne se perdent jamais avec l’âge -, Sadi parcourait du regard le Prinsengracht et son enfilade de pignons, alignés comme s’aligneront plus tard les vers de ses poèmes. Les fenêtres éclairées des maisons, l’eau verte des canaux et de l’Amstel resteront, sa vie durant, des repères où il se retrouvera et qui alimenteront chez lui une certaine nostalgie. Ces années d’enfance et les impressions qu’il en a gardé ont dû être déterminantes pour sa formation.

Amsterdam demeurera une de ses sources d’inspiration: c’est en se souvenant de la cité de l’Y qu’il entendra « sur les ponts les poids lourds marteler le silence », tandis que l’obsédant miroitement des eaux crée l’impression physique d’une sorte de brûlure : « Je fixe l’Amstel et mes paupières s’embrasent sous le feu de mon regard » (2).

En 1920, la famille De Gorter quitte Amsterdam et s’installe à Bruxelles. Pour Sadi, c’est l’immersion totale dans un milieu francophone. Durant sa scolarité, il va apprendre le français et parviendra à le parler à la perfection. Parallèlement, et sans doute en bonne partie grâce aux circonstances familiales, son néerlandais ne sera pas négligé le moins du monde, de sorte qu’il deviendra le parfait bilingue que nous avons connu.

Après la mort de son père en 1927, sa mère retourne s’établir à Amsterdam mais Sadi restera à Bruxelles avec sa sœur aînée Erna. Contrairement à ce qu’affirmera plus tard l’almanach du ministère néerlandais des Affaires étrangères, il n’a jamais obtenu un diplôme d’humanités modernes hollandais HBS. Orphelin de père a un moment de récession économique et de chômage, il fut en effet contraint de gagner sa vie par de petits boulots très divers.

Il est impossible de déterminer comment Sadi de Gorter a commencé à fréquenter les cercles des poètes, des gens de lettres et des journalistes. Mais le talent naturel trouve toujours sa voie. La préface que Charles Plisnier rédige en 1938 pour son recueil de poésie Anges rebelles (3) nous apprend qu’il a été très tôt en contact avec les milieux journalistiques et les groupements de jeunes écrivains gauchisants et révolutionnaires. Il est probable que la période évoquée était mai 1931; à l’époque, avec un petit groupe d’amis, il s’était rendu à une bourse d’écrivains à l’« Atrium » à Bruxelles pour tenter d’y vendre son premier recueil de poèmes. A cette occasion, Sadi a du faire une grande impression sur Plisnier, qui allait être en 1937 le premier écrivain hors Hexagone à recevoir le prix Goncourt. A partir de ce moment, Sadi de Gorter allait aussi faire son entrée aux « Mardis de la place Moricharo », cercle littéraire qui se réunissait au domicile de Charles Plisnier.

En 1930, déjà, son essai intitulé Primauté du social dans la littérature avait démontré qu’il lisait énormément et qu’il pouvait et voulait avoir son mot à dire en matière de poésie. Ce petit volume publié à Bruxelles révélait un jeune révolutionnaire de dix-huit ans qui s’engageait dans la littérature prolétarienne. Se proclamant partisan d’Henri Poulaille et des « écrivains du peuple », il rédigeait ce texte : « Nous devons revendiquer le droit pour les ouvriers d’opposer à la littérature bourgeoise, les efforts d’une classe qui lutte pour son émancipation. Peut-être mieux que des discours politiques, que la propagande sous toutes ses formes, l’art prolétarien, imposé de gré ou de force, … créera une situation révolutionnaire plus vivante, parce que davantage basée sur le sentiment » (4).

A la lecture de cet essai, il apparaît également que, à l’époque, Sadi de Gorter connaissait déjà Plisnier et admirait cet écrivain
«
dont le rôle dans la poésie révolutionnaire a été considérable » et qui s’était posé cette question: « Comment, de tant d’hommes qui furent heureux, ne demeure-t-il que des cris de douleur, échos de quelques moments exceptionnels de leur vie ? » Pour Sadi, Plisnier touchait ici à une dimension essentielle de la poésie.

Ces années-là, Sadi de Gorter les a vécues à Bruxelles, en étroite symbiose avec l’avant-garde. Bruxelles, où, comme l’écrirait plus tard son ami Yves Cazaux, « il souffre de la faim, de toutes les faims de la vie ». Comment aurait-il pu réagir à ces difficulté de l’existence autrement qu’en les criant ? Et « ses cris saignent » (5).

Durant ces jeunes années bruxelloises, Sadi fut aussi le lecteur insatiable que ses amis ont connu. Il ne se lassait pas non plus de voir des tableaux et des sculptures dont plus tard entretiendra maint auditoire en ponctuant d’un balancement de ses lunettes les impressions et jugements toujours pertinents et instructifs qu’il aimera communiquer. Connaissant une foule d’artistes, il leur rendait visite dans leur atelier, discutait avec eux de leur travail, de leur inspiration, regardait et regardait encore, buvait les couleurs et les formes, se pénétrait de leurs créations. Son don d’observation et sa capacité de perception sensorielle, qu’il savait mettre en valeur par un langage se renouvelant à l’infini, font que ses écrits relatifs aux œuvres de ses contemporains conservent une telle jeunesse.

Sa collaboration à la Chronique des lettres et des arts de l’hebdomadaire bruxellois Le Rouge et le Noir l’amène en 1935 à faire la connaissance de Gisèle Berkenstadt, qu’il épousera l’année suivante. Cette jeune fille de nationalité française avait reçu son éducation en Belgique, notamment dans un pensionnat tenu par des religieuses. Ayant obtenu assez rapidement son émancipation, elle avait trouvé un travail de sténotypiste.

Durant cette période bruxelloise des années 30, Sadi de Gorter publie deux autres recueils de poésie : La Randonnée des hommes perdus en 1934 (6) et Exil volontaire en 1936 (7).

En 1937, suite à son prix Goncourt, Charles Plisnier va s’installer en France; Sadi l’accompagne et sera en quelque sorte son secrétaire. Ses poèmes de l’époque impressionnent aujourd’hui encore parce qu’ils sont emplis de la douleur persistante qui tenaille l’auteur devant la violence qui déchire l’humanité, les blessures que les hommes s’infligent mutuellement, les coups assénés par la société. Les mots jaillissent du plus profond d’un être torturé par tout ce que ses sens lui ont rapporté et fait éprouver.

A Paris, Gisèle et Sadi vivent de toutes sortes de petits gagne-pain précaires. Si Gisèle, étant Française, a la chance de trouver du travail, Sadi ne décroche çà et là que de maigres piges journalistiques. Il réussit à créer un jeu radiophonique, mais celui-ci ne sera plus diffusé à cause de la guerre qui éclate entre-temps. Lors de l’invasion allemande en 1940, Sadi rejoint en toute hâte Gisele, qui travaille à Bordeaux dans un bureau d’importation de caoutchouc. Ils habitent ensuite pendant quelque temps à Marseille, après quoi Gisèle effectue à Uriage un stage de dirigeante d’auberge de jeunesse. En 1941, le couple se voit confier une auberge à La Lliagonne dans les Pyrénées, à 1800 m d’altitude. Sadi se retrouve donc père aubergiste.

Cette auberge de jeunesse ne tardera pas à devenir un gîte d’étape pour bien des gens qui, se sentant menacés en pays occupé, cherchent à fuir en Angleterre en transitant par l’Espagne. En 1942, le bruit lui étant parvenu que la Gestapo s’apprête à venir fouiller son établissement, Sadi s’échappe vers l’Espagne avec quelques amis, franchissant les pics enneigés. Après être resté un an détenu dans le camp de Miranda, il réussit, avec quelques compagnons d’évasion, à gagner le Portugal et, de là, l’Angleterre. Il lui est désormais impossible d’entrer en contact avec ses proches. Gisèle ralliera Bruxelles avec leur petite fille après une longue pérégrination. Sadi ne les y retrouvera qu’après la guerre.

A Londres, après s’être engagé dans la marine des Pays-Bas, il publie dans le journal La France Libre, et se retrouve au siège du Gouvernement néerlandais en exil: le ministre des Affaires étrangères de ce gouvernement, Eelco van Kleffens, a entendu parler de ce jeune compatriote talentueux et lui demande de créer pour son département un journal de nouvelles de Hollande, en français. Ce ne sont là que quelques échantillons des aventures de Sadi de Gorter pendant la seconde guerre mondiale, aventures qui pourraient emplir tout un livre.

Après la Libération, les activités londoniennes de Sadi de Gorter trouvent un prolongement en France. Nommé attaché de presse auprès de la représentation diplomatique des Pays-Bas à Paris, il entame la publication de son bulletin hebdomadaire Nouvelles de Hollande, qui sera pendant 25 ans le principal organe d’information des Pays-Bas en langue française. Un quart de siècle d’existence durant lequel Sadi de Gorter a assuré quasiment à lui seul la rédaction. Il y aborde tous les domaines de la vie des Pays-Bas qui intéressent ou devraient intéresser les Français : politique, reconstruction, économie, Maison royale, architecture, littérature, cinéma, peinture. Les sujets traités sont innombrables et Sadi a la plume facile.

Une grande partie de ce qu’il a publié dans ces « Nouvelles » se lit encore avec intérêt et constitue en tout cas une magnifique photographie d’une époque qui appartient désormais à l’Histoire. C’est apparemment lors des événements de mai 1968 que le bulletin a cessé de paraître. Sadi de Gorter laissait derrière lui près de quatre mille pages. Son grand mérite est d’avoir, par ce travail opiniâtre, fait connaitre à la France un nouveau visage des Pays-Bas, une image moderne qui supplantait peu à peu les clichés traditionnels et folkloriques qui servaient plutôt de support pour la vente de fromage ou de salade.

Un intéressant outil de promotion de la culture néerlandaise en France est, à partir de 1957, l’Institut néerlandais de la rue de Lille. Il sera dirigé par Sadi de Gorter, devenu entre-temps conseiller culturel. L’Institut abritera la Fondation Custodia, gestionnaire de la superbe collection d’œuvres d’art de Frits Lugt, ainsi que des expositions et manifestations culturelles très diverses. Les catalogues d’exposition dont Sadi de Gorter a rédigé les textes de présentation sont assez nombreux pour garnir une belle bibliothèque. Parfois il devait se déplacer pour convaincre des prêteurs potentiels de céder leurs trésors à ses expositions. Alors il n’était pas rare qu’il rentrât à l’Institut, l’objet ou le tableau envié sous les bras. Bon nombre de ces expositions resteront dans les annales de l’Institut, notamment « La vie en Hollande au XVIe siècle », « Saenredam » ou « Willem Bruytewech » (8).

Les concerts organisés à l’Institut ont permis à de nombreux jeunes musiciens des Pays-Bas de se présenter pour la première fois devant un public français. Sous la direction de Sadi de Gorter, le 121 de la rue de Lille est devenu une maison bourdonnante d’activité où se nouaient des contacts, où s’organisaient des débats, où se rencontraient des gens de même opinion. Le petit déjeuner qui réunissait hôtes et étudiants séjournant sur place, et où le directeur faisait toujours une brève apparition était, dans toute sa sobriété, le moment de la journée le plus propice aux échanges d’idées et d’expériences, à l’ébauche de projets et de propositions.

il savait d'instinct comment sensibiliser tel ou tel public de son pays d'adoption à l'une ou l'autre facette de la culture néerlandaise et de la vie sociale aux Pays-Bas

Très au courant de la vie culturelle française, familier des milieux artistiques et littéraires français, où il entretenait des contacts personnels avec bon nombre de personnages marquants, Sadi de Gorter connaissait et exploitait mieux que n’importe quel Hollandais les possibilités qui existaient en France pour mettre en valeur la culture des Pays-Bas. Mieux que quiconque parmi ses compatriotes, il savait d’instinct comment sensibiliser tel ou tel public de son pays d’adoption à l’une ou l’autre facette de la culture néerlandaise et de la vie sociale aux Pays-Bas, et sa fonction à la tête de l’Institut lui permettait de concrétiser cet éclectisme par un maximum de manifestations couronnées de succès.

Il peut sembler étonnant que cet ancien révolté, ce poète contestataire qui s’était toujours opposé à l’ordre établi, se soit insensiblement trouvé à l’aise dans les sphères de la diplomatie, où beaucoup de choses ne peuvent être dites tout haut, où on parle à demi-mot ou par périphrases. Sans doute Sadi pratiquait-il cet art d’autant mieux qu’il était poète et connaissait le poids des mots, qu’il avait une incroyable facilité d’élocution et peut-être aussi que les anciennes blessures de la vie lui avaient appris la prudence. Mais, sous ce voile pudique de la diplomatie, on continuait de percevoir combien il était sensible, passionnée, ardent défenseur de certaines vérités et de certaines valeurs. Retraité en 1977, ce directeur éclairé de l’Institut néerlandais allait laisser une maison en plein rayonnement.

Le développement de l’enseignement de la langue, de la littérature et de l’histoire de la culture néerlandaises dans les écoles et universités de France doit énormément, lui aussi, à Sadi de Gorter. La signature de l’Accord culturel franco-néerlandais en 1948 avait ouvert des pistes et créé des possibilités. En 1971, De Gorter et le ministre hollandais de l’Enseignement Veringa ont pris l’initiative de réunir régulièrement les professeurs de néerlandais enseignant en France. Si ces rencontres ont parfois donne lieu à des discussions un peu vaines, elles ont cependant été bénéfiques à l’étude du néerlandais dans l’Hexagone.

Lors des assemblées des représentants de l’Accord culturel, De Gorter se battait aussi bien pour le néerlandais en France que pour le français aux Pays-Bas. Il a ainsi obtenu la création de plusieurs lectorats et a lui-même été invité à donner des conférences dans maintes universités. Si, aujourd’hui, le néerlandais n’occupe encore qu’une place très réduite dans les programmes de l’enseignement en France, ce n’est certainement pas faute d’engagement personnel de la part de Sadi de Gorter ou de ses successeurs, et pas davantage parce qu’un CAPES nous fait défaut. Cela tient tout simplement à des raisons financières du ministère français de l’Education nationale, hésitant devant une demande trop faible des parents d’élèves éventuels. Sadi a toujours été très conscient de ces handicaps: il connaissait trop bien l’administration française.

Entre-temps, Sadi de Gorter était devenu une figure connue et très appréciée dans le monde de la littérature et des arts. Sa poésie avait évolué, perdant un peu de sa véhémence mais certainement pas de sa profondeur. Son œuvre avait été remarquée pour sa grande valeur poétique, et lui avait valu plusieurs prix. Des recueils comme Pays nocturnes (9) et Le Verbe sur les ailes de l’oiseau gaucher (10) avaient largement contribué à le faire connaître. Dans Caisse d’Epargne, œuvre importante de 1977 (11), il dressait un inventaire de la vie empreint de mélancolie, comme pour une grande liquidation, mais le « comptable » ne cache pas tout à fait le rebelle, le poète qui se révolte contre le destin.

Septentrion, enfin, doit beaucoup à Sadi de Gorter, qui a participé intensément à la vie du périodique depuis sa fondation en 1972. Son tout premier article, cette année-là, fut le remarquable « Vincent van Gogh ou le devoir d’espérance ». Il faudrait de nombreuses soirées pour relire tout ce que Sadi de Gorter a publié dans Septentrion, qui constituait pour lui un canal supplémentaire par où faire connaître la richesse de la culture néerlandaise.

C'est dans les « Chroniques » qu'il rendait compte des faits s'inscrivant dans les relations culturelles entre les Plats pays et la France

Encyclopédie vivante de la civilisation et de la société néerlandaises, qu’il avait l’avantage de pouvoir observer aux avant-postes, il se sentait également Flamand, évoluant aussi à l’aise sur les bords de la Lys que près de son Amstel natale. Tout cela faisait de lui un collaborateur quasi incontournable ; il était d’ailleurs membre du Comité de conseil. En 1978, il donnait une nouvelle impulsion à notre périodique en y insérant sa « Chronique », dans laquelle il passait en revue les petits événements de l’actualité culturelle : une exposition, un peintre, un livre, une plaque commémorative, un nom de rue. C’est également dans les « Chroniques » qu’il rendait compte des faits s’inscrivant dans les relations culturelles entre les Plats pays et la France. L’intérêt de leur lecture est évident quand on connaît le rôle qu’a joué De Gorter dans le développement des relations culturelles entre ces pays.

Sadi de Gorter a exercé des fonctions de premier plan et notamment celles de ministre plénipotentiaire et de représentant permanent de son pays à l’UNESCO. Ses mérites lui ont valu de hautes distinctions et l’attribution de prix importants. Il en tirait une légitime fierté.

Aimant la vie, il appréciait les honneurs sans fausse modestie. C’était un ami qui vous apprenait beaucoup de choses, même prenant de l’âge et sentant sa fin prochaine. Car sous les dehors de quelqu’un qui vieillit dignement après avoir pleinement vécu, il conservait intérieurement cette ardeur d’un cœur jamais satisfait, d’un cœur plein de nostalgie au souvenir de tout ce qu’il a connu ou ressenti, d’un cœur qui battait plus fort chaque fois qu’il se trouvait face à une œuvre d’art ou entendait un beau poème.

André Van Seggelen, «Sadi de Gorter ou la passion des cultures», Septentrion – 1995, nº 4, p. 3-8.
Luc-Devoldere

Luc Devoldere

écrivain, essayiste et ancien rédacteur en chef (2002-2020) de Ons Erfdeel vzw

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